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PAROLES DE LIBRAIRE < LA SAGESSE DES LIANES DE DÉNÉTEM TOUAM BONA >

Dénètem Touam Bona

Recommandé par Allan Wei de la librairie Par Chemins

Memwa Kréyòl

RÉSUMÉ

Des Caraïbes à la Papouasie, l’enchevêtrement inextricable des lianes entrave la pénétration coloniale. Premier obstacle à la quête de l’Eldorado et au régime des plantations, la liane est le serpent, l’hydre végétale qui, aux yeux du colon, fait d’une forêt vierge et tentatrice un enfer vert. Tout en torsions et contorsions, la langue fourchue des lianes ne peut sécréter qu’une sagesse de singe : un gai savoir qui convertit, l’espace d’une grimace, la douleur de l’oppression en éclats de rire. Dénètem Touam Bona met en scène la sagesse subversive des luttes « indigènes » contre la marchandisation intégrale du vivant, dont l’anthropocène n’est que l’ultime avatar.


UN MOT SUR L'AUTEUR

Philosophe et artiste, Dénètem Touam Bona questionne la mémoire de l’esclavage en la transposant dans une réalité contemporaine troublante de similitudes et collabore avec l’Institut du Tout-Monde. Dans son premier essai, “Fugitif, où cours-tu ?”, il s’intéresse à la question du marronnage, fugue de l’esclave qui refuse sa condition, et la met en lien avec la situation des réfugiés et plus largement celle de tous ceux qui refusent la norme.


COMMENTAIRE PAR ALLAN

La Sagesse des Lianes oppose une cosmopolitique du refuge à une certaine écologie dominante fondée sur une représentation abstraite et séparée de la nature. Cette séparation permet la continuation d'une logique complémentaire d'extraction : à l'exploitation généralisée des ressources naturelles correspond la protection de zones réservées où une nature abstraite est "épurée de son couplage avec des vies, des pratiques, des mémoires humaines".


L'écologisme apparaît dès lors comme une entreprise occidentale visant à (re)constituer une science des relations entre les organismes et le monde environnant, là où pour les peuples autochtones et les communautés afrodiasporiques, les relations comprennent d'emblée des vies extra-humaines - et reconnaissent en elles une parenté élargie. Pour Dénètem Touam Bona, le marronage, c'est-à-dire la dé-domestication de certaines populations, humaines et autres qu'humaines, qui échappent au régime de la plantation par le recours aux forêts et constituent des communautés marronnes, "n'est pas écologie décoloniale mais abolition de l'écologie en ce qu'il intègre soin du vivant et reconstruction de soi dans un même mouvement de de réexistence "enlianant" corps et territoires." (p.114)


Par cosmopolitique, il faut entendre une cosmologie qui fonde une politique, propre aux mondes effondrés par l'aventure coloniale. Elle repose sur un enchevêtrement cultivé entre les corps et les terres, lesquelles sont également peuplées par les lueurs des ancêtres et les puissances cosmiques nommées par les cultes afro-américains (vaudou, santeria, candomblé, palo monte, culte de Xangô).


La catégorie botanique de la liane importe moins que le liannaj (liannage) comme figure de relations qui constituent des mondes singuliers - des refuges - dans les interstices de l'économie politique dominante et hostiles à celle-ci. La forêt, camouflage végétal, refuge spirituel, lieu de résidence partagée, espace de couplage des mémoires humaines et végétales, est synonyme d'Afrique, Nfinda. Elle permet une sécession marronne, constitue un péyi an déyo (pays en dehors) qui permet de déjouer les prises du capital et de l’état, de conjurer leur reconstitution post-coloniale.


Cette cosmologie, politique et poétique, est incorporée : "Habiter le monde, intervalle entre Ciel et Terre implique d'habiter son corps." (p.109) La liaison est mise en œuvre "à travers certains usages de l'imagination amplifiées par le recours à des plantes psychotropes, par des techniques corporelles comme la danse, par des formes complexes d'énonciation associant chants, artefacts et dispositifs rituels" (p.71). Différentes formes - textiles et rituelles, chorégraphiques et sonores, botaniques et thérapeutiques - associent mémoire et imagination qui ensemble alimentent une fabulation créatrice permettant aux communautés de recouvrer des puissances d’agir (p.103).

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