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RECHERCHE DE TERRAIN ·
RETOUR D'EXPÉRIENCE (II)
< À LA RENCONTRE DE SOSO >

Petit-Canal, Guadeloupe

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Memwa Kréyòl

Aller à la rencontre de l’autre n’est pas chose aisée. Entrer en contact n’est qu’un déclencheur mais dépasser la frontière de l’intimité dépend souvent de son interlocuteur. La recherche de terrain d’Anagram se base sur ces rencontres, telle une recherche empirique qui s’enrichit de l’individu pour nourrir le commun.  


Nous sommes dans les Grands Fonds sur l’île de la Grande-Terre en Guadeloupe. Le paysage est typique de cette région. Particulièrement vallonné, alternant mornes aux pentes acérées et ravines à fonds plats sculptés par l’érosion. C’est cette géologie hostile qui fut le refuge des Amérindiens, puis des Marrons fuyants les colons. Plus rurale aujourd’hui, nous voguons avec l’intention de partager un moment avec l’inconnu. Après une brève rencontre avec Gilberte, qui tête baissée sur les bords de route, s’évertue à repérer un ensemble de plantes sauvages destinées à lutter contre les troubles digestifs — à entendre par là, la “diarrhée” — de sa voisine, nous nous dirigeons vers le Nord, en direction de Petit-Canal. Notre regard s’arrête sur une maison possédant pignon sur rue. Le petit jardin avant, ouvert, recevait une impressionnante collection de plantes et de fleurs. Par chance, nous réussissons à contacter Soso, la Main Verte de la maison, et nous voici embarquer pour un voyage d’une heure et demie.  


Son histoire, Soso nous en fait la confidence. Originaire d’Haïti, elle a dû fuir son pays en proie aux violences et aux dictatures dans les années 80, espérant trouver un travail qui nourrira sa famille et sa fille qui n’ont pu la suivre. L’intégration est difficile, d’autant que des divisions entre les différentes communautés Caribéennes sont insérées dans les pensées, héritage colonial. Le travail bien qu’acharné, sera salvateur, mené par sa conscience du pouvoir de la nature. Son sacrifice aura permis à sa famille de grandir, de se développer et d’assurer son avenir. Son corps le lui rappel aujourd’hui. Elle semble accomplie auprès des siens, de sa communauté et de toute personne dont elle se sentirait capable d’aider.  


De sa jeunesse Haïtienne, elle poursuit les pratiques liées aux plantes que lui a transmises sa mère et s’est construite, au fil des ans, son jardin créole influencé par ses 2 territoires, Haïti et la Guadeloupe et, se prête volontiers, au jeu de transmission de ce que la vie lui a appris. Tous les jours elle partage son rituel préventif. Bien loin du dessein curatif du médicament, son intention est d’éviter d’être malade.  


“Tout moun bwè te ! Tous les matins je prépare un de mes thés, j’en fait pour mes filles, et j’en emmène même pour mes collègues. Aujourd’hui, j’ai fait un mélange de twa tass, goyave, citronnelle, gros thym, girofle, curcuma, gingembre et citron". 


Son nom n’est pas un hasard. Sous son nom scientifique, lippia alba, cette plante est communément appelée "trois tasses" en Guadeloupe, ou devrions-nous dire “twa tass” en créole. Traditionnellement, trois feuilles sont infusées dans une tasse, trois fois par jour, pendant trois jours, pour traiter les symptômes grippaux. En Guyane, on la connaît sous le nom de "mélisse de calme" ou "milis dé kanm", tandis qu’en Martinique elle est appelée "brisée" ou "brizé" car lorsque l’on brise la feuille, elle révèle son parfum citronné.  


" J’ai beaucoup d’activité mais je ne néglige jamais mes plantes ", dit-elle. Notre parcours au milieu de son jardin nous révèle bien plus qu’une découverte botanique. S’écartant totalement d’une conception ornementale, chaque représentant du règne végétal possède son usage, bien sûr, et son histoire, surtout. Gros thym, Carapate, Paroka, Doliprane, twa tass, koklaya, corossol, la liste est longue et son rapport à l’usage quotidien d’une part, et, si diversifiée d’autre part, sert un condensé de lien intime entre son respect, sa connaissance et le pouvoir de la nature.   


Soso nous fait part de ses efforts pour la comprendre et de la nécessité de ce geste de transmission, naturel pour elle et pourtant si raréfié. Ces savoirs se transmettent oralement. Elle aussi, nous confie qu’elle ne voulait pas apprendre le créole à ses filles, mais que sa mère lui en avait heureusement dissuadé.  Aujourd’hui, c’est avec une certaine méfiance qu’elle aborde la médecine occidentale classique, comme ahurie face à un certain déni de l’environnement naturel. Et renforcée par l’expérience de la vie et le poids de son histoire. 


De cette rencontre, nous sortons (repartons) avec quelques graines, quelques jeunes pousses et par-dessus tout, un témoigne sensible et renversant, profondément humain et d’un indéniable espoir.

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